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LETTRES DE SÉNÈQUE

tice. Si j’ajoute du froid au tiède, je forme le froid parfait ; si j’y ajoute du chaud, je fais enfin le chaud parfait. Mais à cet homme qui n’est ni heureux, ni malheureux, quelque degré de malheur que j’ajoute, il ne sera pas malheureux, vous en êtes convenu : donc votre comparaison n’est pas applicable. Enfin, je vous livre un homme qui n’est ni heureux, ni malheureux ; je le rends aveugle, il ne devient pas malheureux ; je le rends débile, il ne devient pas malheureux ; je le soumets à des douleurs aiguës et continuelles, il ne devient pas malheureux. Si tant de maux ne peuvent rendre un homme malheureux, ils ne sauraient non plus ôter le bonheur. Le sage, dites-vous, ne peut tomber du bonheur dans le malheur, il ne peut donc pas non plus cesser d’être heureux ; car celui qui commence à déchoir, où s’arrêtera-t-il dans sa chute ? La même cause, qui l’empêche de rouler jusqu au fond, le retient au sommet. Mais le bonheur ne peut-il pas être détruit ? il ne peut même pas être diminué ; c’est pour cette raison que la vertu seule y suffit. — « Mais quoi, dit-on, ce sage, qui aura vécu plus longtemps, et sans qu’aucune peine l’ait jamais troublé dans son bonheur, n’est-il pas plus heureux que celui qui souvent a lutté contre la mauvaise fortune ? » — Dites-moi, en est-il meilleur et plus vertueux ? Non. Donc il n’est pas plus heureux. Il faut qu’il vive plus sagement pour vivre plus heureux. S’il ne peut vivre plus sagement, il ne peut vivre plus heureux. La vertu n’est point susceptible de degrés ; il en est ainsi du bonheur qui dépend de la vertu. La vertu est un si grand bien, que ces légères circonstances, la brièveté de la vie, la douleur et les peines corporelles, n’ont aucune influence sur elle. Quant à la volupté, elle