Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/256

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lée, embarrassée, incapable de former des mots ; comme ils ont une langue, mais enchaînée et inhabile aux inflexions variées de la nôtre ; de même ce principe moteur est chez eux à peine éclairé, à peine ébauché. Il perçoit la vue et l’apparence de ce qui excite leurs mouvements, mais cette vue est trouble et confuse. De là la violence de leurs transports, de leur attaques ; mais rien qui soit appréhension, souci, tristesse ni colère : ils n’en ont que les semblants. Aussi leur ardeur tombe bien vite et passe à l’état opposé : après le plus furieux carnage, comme après la plus vive frayeur, ils paissent tranquillement, et aux frémissements, aux agitations de la rage succèdent à l’instant le repos et le sommeil.

IV. J’ai suffisamment expliqué ce que c’est que la colère ; on voit comment elle se distingue de l’irascibilité : c’est la différence de l’homme ivre à l’ivrogne, de l’homme effrayé au timide. L’homme en colère peut n’être pas irascible, comme l’irascible n’est pas toujours en colère. Les Grecs distinguent ce vice en plusieurs espèces, sous divers noms que j’omettrai, comme n’ayant pas chez nous leurs équivalents ; bien que nous disions un caractère aigre, acerbe, aussi bien qu’inflammable, emporté, criard, âpre et difficile, toutes variétés du même vice. Ajoutez-y l’humeur morose, nuance plus radoucie encore. Il y a des colères qui se soulagent par des cris ; il y en a dont la fréquence égale l’obstination ; les unes vont droit à la violence et sont avares de paroles ; les autres se répandent en invectives et en discours pleins de fiel ; celles-ci ne vont pas au delà de la plainte et d’une simple aversion ; celles-là sont profondes, gra-