Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/257

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ves et concentrées. Il est encore mille modifications du même vice, et ses formes sont infinies.

V. J’ai cherché ce qu’était la colère ; si tout autre animal que l’homme en est susceptible ; ce qui la distingue de l’irascibilité, et quels sont ses différents modes. Voyons maintenant si elle est selon la nature, si elle est utile, si on la doit maintenir en partie. Est-elle selon la nature ? Pour éclaircir ce doute, voyez seulement l’homme : le plus doux des êtres, tant qu’il reste fidèle à son caractère ; et voyez la colère, cette passion si cruelle. Quoi de plus aimant que l’homme envers autrui ? quoi de plus haineux que la colère ? L’homme est fait pour assister l’homme ; la colère, pour l’exterminer. Il cherche la société de ses semblables, elle cherche l’isolement ; il veut être utile, elle ne veut que nuire ; il vole au secours même d’inconnus, elle s’en prend aux amis les plus chers. L’homme est prêt même à s’immoler pour autrui : la colère se jettera dans l’abîme, pourvu qu’elle y entraîne autrui. Or peut-on méconnaître davantage le vœu de la nature qu’en attribuant à la meilleure, à la plus parfaite de ses créatures un vice si barbare et si désastreux ? La colère, nous l’avons dit, a soif de vengeance : affreux désir, tout à fait étranger au cœur de l’homme, que la nature a fait la mansuétude même. Les bons offices, la concorde, voilà en effet les bases de la vie sociale ; ce n’est point la terreur, c’est la mutuelle bienveillance qui en serre les nœuds, par une réciprocité de secours. — « Eh quoi ! le châtiment n’est-il pas souvent nécessaire ? » — Qui en doute ? mais il le faut pur, raisonné ; alors il ne nuit pas, il guérit