Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/284

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en atténueront les effets. Quant à cet autre sentiment qui naît de la réflexion, la réflexion peut en triompher ***.

V. Une question se présente. Ceux qui versent à flots le sang des hommes, qui se font du carnage une fête, ces Apollodore, ces Phalaris, lorsqu’ils égorgent leurs semblables sans en avoir reçu d’injure, sont-ils donc en colère ? Non, là n’est plus la colère, mais la barbarie ; car elle ne fait pas le mal parce qu’on l’a offensée, elle qui consentira même à ce qu’on l’offense, pourvu qu’elle ait le plaisir de rendre le mal. Elle frappe, elle déchire, non par vengeance, mais par plaisir. Qu’est-ce donc que ce fléau ? Quelle est sa source ? C’est toujours la colère qui, à force d’être exercée et assouvie, finit par ne plus savoir ce que c’est que pitié, abjure tout pacte avec la société humaine et se transforme en cruauté. Loin qu’il ait l’extérieur d’un homme irrité, l’homme cruel sourit, s’applaudit, s’enivre de joie aux horribles actes devenus pour lui des passe-temps. Annibal, dit-on, à la vue d’un fossé regorgeant de sang humain, s’écria : « Le beau spectacle ! » Barbare ! comme ce sang t’eût paru plus beau encore, s’il avait pu remplir un fleuve ou un lac ! Faut-il s’étonner que tel soit ton plus doux spectacle, toi dont l’enfance s’est nourrie de sang et qui l’as sucé comme le lait ? Eh bien ! ton homicide étoile, suivie par la fortune qui vingt ans la secondera, va repaître partout tes yeux de délicieux tableaux : tu les verras et à Trasimène et à Cannes, et pour la dernière fois autour de ta chère Carthage.

Naguère, sous le divin Auguste, Volésus, proconsul d’Asie, après avoir en un jour fait décapiter trois cents hommes, se promenait au milieu des cadavres, d’un air aussi superbe que