Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/285

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s’il eût accompli l’œuvre la plus belle et la plus glorieuse. On l’entendit s’écrier en grec : « Ô la royale exécution ! » Qu’eût fait un tel homme, s’il eût été roi ? Était-ce là de la colère ? Ah ! c’était un mal mille fois pire, un mal sans remède.

VI. On me dira : « Puisque la vertu favorise tout ce qui est honnête, ce qui ne l’est pas doit exciter son courroux ». Que ne dit-on aussi qu’elle doit être à la fois basse et sublime ! Or, s’exprimer de la sorte, c’est la relever et la rabaisser du même coup ; car si le plaisir de voir une bonne action est noble, s’il exalte l’âme, la haine qu’inspire un acte coupable est ignoble et part d’un cœur rétréci. La vertu se gardera bien d’imiter les vices qu’elle gourmande ; elle réprimera surtout cette colère qui jamais ne vaut mieux, qui souvent est pire que le délit auquel elle en veut. La vertu est toujours heureuse et satisfaite : tel est son partage et sa nature ; la colère est aussi peu digne d’elle que l’affliction. Or, l’affliction suit la colère ; c’est où nous jette toujours le repentir ou le mauvais succès de ses transports. Et si le rôle du sage était de s’irriter à la vue du mal, plus le mal serait grand, plus sa colère s’échaufferait ; et elle s’allumerait souvent. D’où il suivrait que le sage serait non seulement courroucé quelquefois, mais toujours en colère. Puis donc que, selon nous, toute colère, grave ou fréquente, n’a jamais place en l’âme du sage, que n’achevons-nous de l’en délivrer tout à fait ? Car, encore une fois, où s’arrêtera— t-elle, si elle doit se proportionner à chaque méfait ? Le sage deviendra ou injuste, s’il poursuit d’un courroux égal des délits inégaux, ou le plus irascible des hommes, s’il sort de lui— même à chaque crime capable de le révolter. Or, quoi de plus