Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/291

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crainte que le mépris. Quant aux colères impuissantes, celles-là n’en sont que plus en butte au mépris, et n’évitent pas le ridicule. Car quoi de plus pitoyable qu’un courroux qui se perd dans le vide ? D’ailleurs, se faire craindre n’est pas toujours une preuve de supériorité ; et je ne réclamerais pas pour le sage une arme qui est aussi celle de la bête féroce, la terreur. Ne craint-on pas aussi la fièvre, la goutte, la gangrène ? Et s’ensuit-il que ces trois fléaux aient quelque mérite ? loin de là, le mépris, le dégoût, l’horreur ne viennent-ils pas toujours de l’effroi qu’un objet nous cause ? La colère par elle-même est hideuse, mais nullement redoutable, et pourtant beaucoup la redoutent, comme l’enfant a peur d’un masque difforme. Et puis l’effroi n’est-il pas refoulé dans l’âme qui l’inspire ? peut-on se faire craindre et rester soi-même en sécurité ? Rappelons-nous ce vers de Labérius, récité au théâtre dans le fort des guerres civiles, et qui fut accueilli par tout le peuple comme l’expression des sentiments universels :

« Il a nécessairement beaucoup de gens à craindre, celui qui se fait craindre de beaucoup de monde. »

Ainsi l’a voulu la nature : tout ce qui est grand par la terreur doit en ressentir le contrecoup. Le cœur du lion tressaille au plus léger bruit ; les plus fiers animaux s’effarouchent d’une ombre, d’une voix, d’une odeur inaccoutumée : tout ce qui se fait craindre tremble à son tour. Pourquoi donc le sage voudrait-il jamais être craint ?

XII. Et qu’on ne s’imagine pas que la colère soit quelque