Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/292

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chose de grand, parce qu’elle fait peur. On a peur aussi très souvent des choses les plus viles, des poisons, de la dent meurtrière d’un reptile ou d’une bête féroce. Qu’on ne s’étonne pas non plus que de nombreuses troupes de bêtes fauves soient arrêtées et repoussées vers le piège par un cordon de plumes bigarrées, qui doit le nom d’épouvantail à l’effet qu’il produit. L’être sans raison s’effraie sans motif. Un char en mouvement, une roue qui tourne font rentrer le lion dans sa loge ; le cri du porc épouvante l’éléphant. Telle est la crainte qu’inspire la colère ; ainsi l’ombre intimide l’enfant, et des plumes rouges font fuir les bêtes féroces. La colère n’a rien de la fermeté, rien du vrai courage ; elle ne déconcerte que les âmes pusillanimes. « Ôtez donc de ce monde l’iniquité, me dira-t-on, si vous voulez en ôter la colère. Or, l’un n’est pas plus possible que l’autre. » Mais ne peut-on pas se préserver du froid, quoique l’hiver soit dans la nature, et de la chaleur, malgré les mois d’été, soit par les avantages du lieu qui nous défendent des intempéries de la saison, soit que des organes endurcis nous rendent insensibles au chaud comme au froid ? Retournons maintenant l’objection, et disons qu’avant d’admettre la colère, il faut arracher la vertu du cœur humain : car le vice ne sympathise point avec elle, et il est aussi impossible d’être à la fois irascible et sage, que malade et bien portant. En vain, dites-vous : « La colère ne peut se bannir entièrement ; la nature de l’homme ne s’y prête pas. » Il n’est rien de si difficile et de si pénible que l’esprit humain ne puisse vaincre et qu’on ne se rende familier par une pratique assidue ; point de passion si sauvage et si indomptée qui ne plie enfin au joug de la discipline. On peut tout ce qu’on veut fortement. Des hommes ont