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LETTRES DE SÉNÈQUE

forme la main à diriger les traits qu’il lance ; quand les instructions et l’exercice lui ont donné cette habileté, il s’en sert partout où bon lui semble ; il n’a pas appris à frapper tel ou tel but, mais à frapper un but quelconque. De même, celui qui s’est formé à l’art de vivre en général, instruit sur l’ensemble, n’a pas besoin de préceptes pour chaque cas particulier. Ne lui dites pas comment il faut se conduire envers son épouse ou envers son fils, mais comment on se conduit bien ; ceci comprend la conduite envers l’épouse et les enfants.

Cléanthe pense que cette philosophie spéciale n’est pas sans utilité, mais qu’elle est faible, si elle ne découle d’une théorie générale, si elle n’est fondée sur les principes généraux de la philosophie.

La question se réduit donc à ces deux points : d’abord, la philosophie spéciale est-elle utile, ou non ? En second lieu, suffit-elle pour former l’homme de bien ? en d’autres termes, est-elle superflue, ou rend-elle superflues toutes les autres branches de la philosophie ? Voici le raisonnement de ceux qui la rejettent : Si quelque objet placé devant vos yeux empêche la vision, il faut d’abord l’écarter ; autrement, on perdrait sa peine en vous disant : « Marchez ainsi, étendez par là votre main. » De même, si quelque objet aveugle l’esprit et l’empêche de discerner l’ordre des devoirs, on vous dira vainement : « Conduisez-vous ainsi avec votre père ; vivez ainsi avec votre épouse. » Les préceptes ne sont d’aucune utilité tant que l’âme est enveloppée des brouillards de l’erreur ; ce nuage dissipé, les formes de chaque devoir se montreront nettement. Si vous-procédez autrement, vous enseignez au malade ce qu’il devrait faire étant bien portant ; mais vous ne lui rend-