Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/310

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n’ont pas été les nôtres, et si nous gagnerions quelque chose à ce que les actions de cette nature fussent condamnées ?

Le grand remède de la colère est le temps d’arrêt. N’exigez pas dès l’abord qu’elle pardonne, mais qu’elle juge : elle se dissipe pour peu qu’elle attende ; n’essayez pas de l’étouffer d’un seul coup, ses premiers éclats ont trop de force : la victoire complète ne s’obtient ici que par des succès partiels.

XXIX. Parmi les choses qui nous offensent, les unes nous sont redites, les autres frappent directement nos yeux ou nos oreilles. Ne croyons pas légèrement les rapports : trop de gens mentent pour tromper ou parce qu’ils furent trompés les premiers. L’un n’accuse autrui que pour gagner vos bonnes grâces : il suppose le mal, pour avoir l’air d’en plaindre la victime. Tantôt la jalousie s’efforce de désunir les plus étroites amitiés, tantôt une maligne curiosité se fait un jeu et un spectacle d’observer de loin, et sans risque ceux qu’elle a mis aux prises.

Que vous soyez juge d’un procès sur la plus modique somme, sans témoin, rien ne vous paraîtra prouvé ; et le témoin, s’il ne prête serment, ne fera pas foi ; vous donnerez aux deux parties les remises, le temps convenables, vous les écouterez plus d’une fois ; car la vérité ressort d’autant mieux qu’on l’a plus souvent débattue. Et votre ami, vous le condamnez sur-le-champ, sans l’ouïr ni l’interroger. Avant qu’il puisse connaître son accusateur et son crime, vous voilà furieux contre lui. On vous croirait sûr de la vérité, bien instruit du pour et du contre, tandis que le délateur même abandonnera son dire, s’il lui faut le prouver. Ne me citez pas, vous recommande-t-il ; si vous me mettez en avant, je nie tout, et vous ne saurez plus rien de moi.