Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/317

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des proscrits, et le comble de l’iniquité est de vouloir que les enfants héritent des haines qui poursuivaient les pères. Demandons-nous, quand nous aurons peine à nous laisser fléchir, si nous serions heureux que chacun fût pour nous inexorable. Que de fois le pardon qu’on a refusé à d’autres, on s’est vu réduit à le demander pour soi ! Combien se sont jetés aux pieds de ceux-là mêmes qu’ils avaient repoussés des leurs ! Rien de plus beau que de convertir sa colère en amitié. Quels sont les plus fidèles alliés du peuple romain ? Ceux qui furent ses ennemis les plus opiniâtres. Où serait aujourd’hui la république, si sa politique prévoyante n’avait confondu les vainqueurs et les vaincus ? Cet homme se déchaîne contre vous ; provoquez-le par vos bienfaits. L’inimitié tombe d’elle-même dès que l’un des deux quitte la place ; sans réciprocité la lutte n’a pas lieu : lors même qu’elle s’engage, le plus généreux, c’est le premier qui fait retraite, et le champ de bataille reste au vaincu. Êtes-vous frappé ? retirez-vous : frapper à votre tour serait amener, légitimer des atteintes nouvelles ; vous ne seriez plus maître de vous dégager. Eh ! qui voudrait frapper assez fort son ennemi pour laisser la main dans la plaie, sans pouvoir l’en retirer ? Tel est pourtant l’aiguillon de la colère : on a peine à le retirer.

XXXV. Le guerrier se choisit des armes légères, une épée commode, et facile à manier ; et nous, nous n’éviterions pas la fougue des passions mille fois plus incommodes, plus furieuses, et plus difficiles à rappeler ? La vélocité qui plaît dans un coursier est celle qu’on arrête à volonté, qui ne franchit pas le but, qu’on peut replier sur elle-même et ramener de la course au pas. On juge malades les nerfs qui s’agitent malgré