Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/318

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nous. Il n’y a que les vieillards ou les infirmes qui courent quand ils veulent marcher. Ainsi les mouvements de l’âme, les plus sains et les plus vigoureux sont ceux non pas qu’emporte un fol élan, mais dont l’allure nous est soumise.

Avant toutefois de songer aux périls de la colère, rien ne sera plus efficace que d’en considérer la difformité. Nulle passion n’offre des symptômes plus orageux : elle enlaidit les plus belles figures, et donne un air farouche aux physionomies les plus calmes. L’homme abjure alors toute dignité. Sa toge était-elle arrangée convenablement autour de son corps ? la colère y porte le désordre. Tout soin de sa tenue lui échappe ; ses cheveux, que la nature ou l’art faisait flotter d’une manière décente, se soulèvent à l’instar de son âme ; ses veines se gonflent ; à ses fréquents soupirs, aux cris de rage qu’il pousse avec effort, on voit s’ébranler sa poitrine et se tendre les muscles de son cou. Ses membres frémissent, ses mains tremblent, tout son corps est en convulsion. Que pensez-vous de l’état intérieur d’une âme qui, au dehors, s’annonce par des traits si hideux ? Bien plus révoltants sont ceux qu’elle nous cache, bien plus terrible sa fermentation intestine, bien plus véhéments ses transports, capables, s’ils n’éclatent, de détruire tout l’homme. Qu’on se représente les Barbares, les tigres dégoûtants de carnage ou qui courent s’en abreuver ; les monstres d’enfer qu’ont imaginés les poètes avec des serpents pour ceinture, et qui vomissent la flamme ; les noires Furies élancées du Ténare pour souffler le feu des combats, semer la discorde entre les nations et rompre les nœuds de la paix ! telle on doit se figurer la colère, l’œil ardent de feu ; telle