Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/319

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elle gémit, telle elle mugit, mêlant à ses sifflements d’aigres clameurs et des sons plus sinistres encore, s’il est possible ; frappant des deux mains à la fois, car de se couvrir elle n’a nul souci ; farouche, ensanglantée, déchirée et livide de ses propres coups, la démarche égarée, la raison obscurcie et perdue, elle se précipite çà et là, elle ravage, elle poursuit chargée de l’exécration générale, de la sienne surtout, elle souhaite, à défaut d’autres fléaux, que la terre, que le ciel, que l’univers s’écroule, car elle voue à tous la haine qu’on lui porte. Qu’on la voie, si l’on veut encore, telle que les poètes nous dépeignent

« Bellone agitant de sa main son fouet sanglant, ou la Discorde étalant en triomphe sa robe en lambeaux. »

Qu’on imagine enfin, s’il se peut, des traits encore plus affreux pour peindre cette affreuse passion.

XXXVI. Il y a des gens, dit Sextius, qui se sont bien trouvés d’avoir, dans la colère, jeté les yeux sur un miroir. Effrayés d’une si complète métamorphose, et placés pour ainsi dire en face d’eux-mêmes, ils ne pouvaient se reconnaître. Combien toutefois un miroir rendait faiblement leur difformité réelle ! Si l’âme pouvait se manifester et se réfléchir à la surface de quelque métal, combien, à l’aspect de cette image hideuse et livide, de cette écume, de ces contorsions, de cette bouffissure, elle serait abîmée de confusion ! Nous voyons cette âme percer même à travers l’épaisse enveloppe de chair et de sang qui lui fait obstacle ; que serait-ce si elle se montrait dans sa nudité ? Pour moi, je ne crois pas qu’un miroir ait jamais guéri