Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/324

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travaille que quelques hommes ; la cruauté n’est jamais générale ; mais souvent la foule a marché en masse sous les drapeaux de la colère. Hommes et femmes, vieillards et enfants, chefs et peuples sont alors unanimes ; quelques mots suffisent pour déchaîner cette multitude, et celui dont les paroles l’ont soulevée se voit déjà devancé par elle. On court, sans plus attendre, au fer et à la flamme ; on décrète la guerre aux peuples voisins, on la fait à ses concitoyens. Des maisons, des familles entières s’abîment dans les feux ; l’homme qui vient de ravir tous les suffrages, dont l’éloquence était portée aux nues, est victime du courroux dont il fut le moteur ; des légions tournent leurs javelots contre leur général. Le peuple en masse se sépare du sénat ; le sénat, cette lumière de Rome, n’attend ni les élections ni le choix d’un chef régulier, et, créant d’un mot le ministre de ses vengeances, il poursuit jusque dans l’intérieur des maisons d’illustres citoyens dont il se fait lui-même le bourreau. On outrage des ambassadeurs au mépris du droit des gens ; une fureur inouïe soulève la cité, et, avant que l’animosité publique ait pu s’amortir, on traîne à la hâte des vaisseaux à la mer, des armées s’embarquent tumultuairement. Plus de formalités, plus d’auspices ; on se précipite, sans autre guide que le ressentiment ; on fait arme de tout ce que donne le hasard ou le pillage : transports téméraires, qu’expient bientôt d’affreux désastres.

III. C’est le sort des Barbares courant en aveugles aux combats. À la moindre apparence d’injure qui frappe ces esprits irritables, ils s’enflamment aussitôt ; partout où le ressentiment les pousse, ils tombent sur les peuples comme un vaste écroulement, sans ordre, sans rien craindre ni prévoir, se jetant eux-