Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/325

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mêmes au-devant d’inévitables périls ; heureux des coups qui les frappent, ils vont s’enferrant de plus en plus, ils pèsent de tout leur corps sur le glaive qui les déchire, et tentent d’échapper aux blessures à travers les blessures mêmes. « Voilà sans doute, me dira-t-on, la plus destructive, la plus terrible des frénésies : montrez-nous donc à la guérir. » Oui ; mais, comme je l’ai dit ci-dessus, Aristote est là qui prend la défense de la colère, qui ne veut pas qu’on nous arrache cet aiguillon de la vertu. La retrancher, c’est, selon lui, désarmer l’âme, lui ôter l’élan vers les grandes choses, et la condamner à l’inertie.

Signalons donc, puisqu’il le faut, toute la difformité de ce féroce penchant. Faisons voir à tous les yeux quel monstre est un homme en fureur contre son semblable, comme il se déchaîne, comme il s’élance, ne pouvant le perdre à son tour, ni l’engloutir qu’en s’abîmant dans le même naufrage. Eh ! peut-on appeler sensé celui qui, comme emporté par un torrent, ne marche plus, mais se précipite, jouet d’un barbare délire ? Il ne confie pas sa vengeance à d’autres : l’exécuteur, c’est lui; d’un cœur et d’un bras désespérés, il frappe en bourreau ceux qu’il aime le plus, ceux dont la mort va lui arracher des larmes de sang. Et voilà, dit-on, l’aide et la compagne de la vertu, une passion qui trouble ses conseils, qui la rend impuissante ! Elles sont trompeuses et de sinistre augure, elles ne tournent qu’au suicide, les forces qu’un accès de fièvre développe chez le malade. Ne m’accusez donc pas de perdre le temps en propos stériles, si je m’attache à flétrir la colère, comme si les opinions étaient partagées sur elle, puisque nous voyons un philosophe, et des plus illustres, lui assigner sa tâche, l’appeler, comme un utile auxiliaire, dans les combats, dans la vie active, dans tout ce qui