Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/328

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qu’elle les modifie plus profondément. Or, comme notre devoir est d’abord de l’éviter, puis de la réprimer, et enfin d’en guérir les autres, j’enseignerai successivement à ne pas tomber sous son influence, à s’en dégager, à retenir celui qu’elle entraîne, à l’apaiser et à le ramener à la raison. On se prémunira contre cette passion en se remettant maintes fois sous les yeux tous les vices qu’elle renferme, en l’appréciant à sa juste valeur. Que tout cœur d’homme l’accuse et la condamne ; qu’un examen sévère mette à nu ses iniques penchants ; comparez-la aux pires de tous, vous aurez sa vraie mesure. L’avarice acquiert et entasse des biens dont un héritier plus sage saura jouir ; la colère abîme tout, et il n’est guère de gens à qui elle n’ait coûté cher. Que d’esclaves réduits par un maître violent à fuir ou à se tuer ! Et combien ses emportements lui ont été plus dommageables que la cause qui les produisait ! Par la colère, on voit un père en deuil de son fils, un époux en divorce avec sa femme, un magistrat en exécration, un candidat repoussé. La colère est pire même que la— débauche celle-ci jouit de ses propres plaisirs, celle-là des souffrances d’autrui. Elle va plus loin que la plus maligne envie : ce que l’envie désire, la colère le fait. Si le sort vous maltraite, c’est pour la première une bonne fortune ; la seconde n’attend pas que le sort frappe, elle veut non pas simplement le mal pour celui qu’elle hait, elle veut lui nuire elle-même. Rien de plus funeste que les inimitiés : elles sont le fruit de la colère. Qu’est-ce que la guerre, ce fléau qui surpasse tous les fléaux ? l’explosion de la colère des grands. Et ces colères plébéiennes et privées, que sont-elles encore qu’une guerre sans armes et