Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/327

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dard enfoncé dans ses flancs, le tigre qui dans une dernière morsure, exhale contre le chasseur les restes de sa vie, paraît encore moins féroce que l’homme enflammé par la colère. Écoutez, si vous pouvez, ses vociférations, ses menaces, et dites-moi que vous semble d’une torture qui arrache à l’âme de tels cris. Est-il un mortel qui ne fasse vœu de rompre avec cette passion, si on lui prouve clairement qu’elle commence par son propre supplice ? Ces puissants de la terre qui s’y livrent, qui y voient une preuve de la force, qui regardent comme un des grands avantages d’une haute fortune d’avoir la vengeance à leurs ordres, me défendrez-vous de leur apprendre que, loin d’être puissant, l’esclave de la colère ne peut même se dire libre ? combien il abdique sa puissance, et jusqu’au titre d’homme libre celui qu’asservit sa colère ? Me défendrez-vous de dire aux âmes vigilantes qu’elles aient à redoubler d’attention sur elles-mêmes ; que si d’autres vices sont le partage de la perversité, la colère se glisse jusque chez les hommes d’ailleurs les plus éclairés et les plus sages, au point qu’à certains yeux l’irascibilité est signe de franchise, et qu’auprès du vulgaire ceux qui y sont sujets passent pour les meilleures gens.

V. Si j’insiste sur ces vérités, c’est afin que nul ne se croie à l’abri de cette fièvre qui jette même les naturels les plus froids, les plus paisibles dans la violence et la cruauté. Une robuste constitution, l’observation du meilleur régime ne peuvent rien contre la peste ; elle attaque indistinctement forts ou faibles ; ainsi les surprises de la colère ne menacent pas moins l’âme rassise et réglée que l’âme toujours en alerte ; car elle apporte à la première d’autant plus de honte et de péril