Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/339

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leverser toute la face humaine. Or, dès qu’elle s’est produite à l’extérieur, elle nous domine. Repoussons-la jusqu’au fond de notre âme : qu’elle soit maîtrisée, et non maîtresse. Faisons plus : que ses avant-coureurs deviennent chez nous les indices du contraire. Que notre visage paraisse plus serein, notre voix plus douce, notre allure moins brusque, et qu’insensiblement sur ces dehors se modifie l’intérieur de l’homme. Chez Socrate, c’était signe de colère de baisser la voix, de moins parler ; on reconnaissait alors qu’il se livrait à lui-même un combat secret. Avertis par là, ses amis le reprenaient, et, quoique l’émotion fût imperceptible, ces reproches n’avaient rien de déplaisant pour lui. Ne devait-il pas s’applaudir de ce que tous s’apercevaient de sa colère, sans que personne en ressentît les effets ? On l’eût éprouvée, s’il n’eût donné sur lui-même à ses amis le droit de blâme qu’il prenait sur eux. Combien à plus forte raison n’en devons-nous pas faire autant ! Prions nos meilleurs amis d’user avec nous d’une libre réprimande, principalement quand nous serons moins en humeur de la souffrir. Point de lâche complaisance de leur part : contre un mal d’autant plus puissant qu’il nous plaît davantage, réclamons leur secours tant que nous voyons clair encore, et que nous sommes à nous.

XIV. Ceux qui portent mal le vin et qui craignent la pétulance et la témérité où l’ivresse les jette, recommandent à leurs gens de les emporter de la salle du festin. Les personnes qui ont éprouvé qu’elles se maîtrisent peu dans la maladie défendent qu’on leur obéisse dans cet état. Rien de mieux que de poser d’avance une barrière aux défauts qu’on se connaît, et, avant tout, de régler si bien son âme, que, fût-elle ébranlée