Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/338

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le flux et le reflux du présent ne laissent rien voir avec netteté. Platon, irrité contre son esclave et ne pouvant prendre sur lui de différer le châtiment, lui avait ordonné de se déshabiller promptement, et de présenter son dos aux verges ; il voulait le battre de sa propre main. Mais, s’apercevant qu’il était en colère, il tint son bras levé et suspendu dans l’attitude d’un homme qui va frapper. Un ami qui survint lui demanda ce qu’il faisait. « Je châtie un homme emporté, » dit Platon ; et ce philosophe demeurait comme stupéfié, conservant cette position menaçante, ignoble pour un sage : car sa pensée était déjà loin de l’esclave ; il en avait trouvé un autre plus digne de punition. Il abdiqua donc ses droits de maître, trop ému qu’il était pour une peccadille, et dit à Speusippe : « Corrige ce misérable ; car pour moi, je suis en colère. » Il s’abstint de frapper par le même motif qui eût poussé tout autre à le faire. « Je ne suis plus à moi, pensa-t-il, j’irais trop loin ; j’y mettrais de la passion ; ne laissons pas cet esclave à la merci d’un homme qui ne se maîtrise plus. » Voudrait-on confier la vengeance à des mains irritées, quand Platon lui-même s’en est interdit l’exercice ?

Ne permettez rien à la colère. Pourquoi ? parce qu’elle veut tout se permettre. Luttez contre vous-même. Qui ne peut la vaincre est à demi vaincu par elle. Si elle fermente au fond de l’âme, si elle ne se fait pas jour encore, étouffez ses premiers symptômes ; tenez-la, autant qu’il se peut, renfermée, et qu’elle échappe à tous les yeux.

XIII. Il nous en coûtera de pénibles efforts ; car cette passion veut faire explosion, jaillir des yeux en traits de flamme, bou-