Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vertus, qui donnent la véritable force ; et les qualités, qui n’ont pour plaire qu’un éclat emprunté, ont besoin du cours des années, dont l’action imperceptible empreint les unes et les autres d’une couleur plus prononcée : mais je crains que l’habitude, qui consolide toutes choses, n’enracine plus profondément chez moi le défaut dont je me plains. Le long usage des bonnes comme des mauvaises pratiques conduit à les aimer.

« Mon âme, ainsi partagée entre le mal et le bien, ne se porte avec force ni vers l’un ni vers l’autre ; et il m’est moins facile de vous exposer mon infirmité en masse qu’en détail. Je vous dirai les accidents que j’éprouve ; c’est à vous de trouver un nom à ma maladie. J’ai le goût le plus prononcé pour l’économie, j’en conviens ; je n’aime point l’appareil somptueux d’un lit, ni ces vêtements tirés d’une armoire précieuse, que la presse et le foulon ont fatigués pour leur donner du lustre, mais bien une robe de tous les jours, peu coûteuse, qui se garde et se porte sans crainte de la gâter. J’aime un repas auquel une troupe d’esclaves ne mette ni la main ni l’œil ; qui n’ait point été ordonné plusieurs jours d’avance, et dont le service n’occupe point une multitude de bras ; mais qui soit facile à préparer comme à servir, qui n’ait rien de rare ni de cher ; qui puisse se trouver partout, qui ne soit onéreux ni à la bourse, ni à l’estomac, et qu’on ne soit pas forcé de rendre par où on l’a pris. J’aime un échanson grossièrement vêtu, enfant de la maison ; j’aime la lourde argenterie de mon père, honnête campagnard, laquelle ne se recommande ni par le travail ni par le nom de l’ouvrier ; je veux une table qui ne soit ni remarquable par la variété des nuances, ni célèbre dans la ville, pour avoir appartenu successivement à plus d’un amateur, mais