Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/393

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tribun de légion ? Encore que les autres soient au premier rang, et que le sort vous ait rejeté parmi les triaires, vous combattrez par vos discours, vos exhortations, votre exemple, votre courage. Même avec les mains coupées, on peut encore dans le combat servir son parti, en gardant son rang, en animant les autres par ses cris. Vous rendrez un service analogue, si, quand la fortune vous aura écarté des premières places de l’État, vous ne laissez pas de vous tenir ferme et d’élever la voix pour la chose publique. Mais on vous serre la gorge ? n’en demeurez pas moins ferme et servez-la par votre silence.

Quoi que fasse un bon citoyen, sa peine n’est jamais perdue ; ses oreilles, ses regards, son visage, ses gestes, sa muette et passive résistance, sa présence seule, tout est utile. Il est des remèdes salutaires qu’on n’avale ni n’applique, et dont l’effet s’opère par l’odorat ; ainsi la vertu fait sentir son utile influence, même de loin et du fond de sa retraite ; qu’elle puisse en liberté s’étendre et user de ses droits ; qu’elle n’ait qu’un accès précaire, et se trouve forcée de replier ses voiles ; qu’elle soit réduite à l’inaction et au silence, renfermée à l’étroit, ou en toute liberté, dans toutes les situations possibles, elle sert toujours. Eh quoi ! regarderiez-vous comme sans utilité, l’exemple d’un vertueux loisir.

La méthode, sans contredit la plus sage, est de mêler le repos aux affaires, toutes les fois que l’activité de votre vie se trouve arrêtée, soit par des obstacles fortuits, soit par l’état même de la république. Car jamais toutes les approches de la carrière ne sont si bien fermées, qu’il ne reste aucune voie pour quelque action estimable. Trouvez-moi une ville plus malheureuse que ne le fut Athènes, déchirée par trente tyrans ?