Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/407

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ceux qui tâchent d’obtenir la vie par toutes sortes de moyens ; nous nous intéressons à ceux qui témoignent du mépris pour elle. » Ainsi de nous ; souvent la crainte qu’on a de mourir devient une cause de mort. La fortune, qui se donne à elle-même des jeux, dit aussi : « Pourquoi t’épargnerais-je, être méchant et timide ? tes blessures seront d’autant plus nombreuses et plus profondes, que tu ne sais pas tendre la gorge. Pour toi, tu vivras plus longtemps, et tu subiras une mort plus prompte, toi qui, devant le glaive, ne retires point ton cou en arrière et ne tends point les mains, mais qui l’attends avec courage. »

Craindre toujours la mort, c’est ne jamais faire acte d’homme vivant : mais celui qui sait, qu’au moment même où il fut conçu, son arrêt fut porté, saura vivre selon la loi de la nature, et trouvera ainsi la même force d’âme à opposer aux événements dont aucun pour lui ne sera jamais imprévu. Car, en pressentant de bien loin tout ce qui peut arriver, il amortira les premiers coups du malheur. Pour l’homme, qui y est préparé et qui l’attend, le malheur n’a rien de nouveau ; ses atteintes ne sont pénibles qu’à ceux qui, vivant en sécurité, n’envisagent que le bonheur dans l’avenir. La maladie, la captivité, la chute ou l’incendie de ma maison, rien de tous ces maux n’est inattendu pour moi : je savais bien dans quel logis, bruyant et tumultueux, la nature m’avait confiné. Tant de fois, dans mon voisinage, j’ai entendu le dernier adieu adressé aux morts ; tant de fois, devant ma porte, j’ai vu les torches et les flambeaux précéder des funérailles prématurées. Souvent a retenti à mes oreilles le fracas d’un édifice qui s’écroulait. Et combien de personnes sortant avec moi du barreau, du sénat, d’un entretien, ont été emportées dans la nuit !