Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/408

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Combien la mort a, dans leur étreinte, séparé de mains unies par la confraternité ! M’étonnerais-je de me voir quelquefois atteint par des dangers qui n’ont jamais cessé de planer autour de moi ? La plupart des hommes toutefois, quand ils se mettent en mer, ne songent point à la tempête. Jamais, quand j’y trouve une chose bonne, je ne me ferai faute d’alléguer un assez mauvais auteur. Publius, dont l’énergie surpassait celle de tous les poëtes tragiques et comiques, toutes les fois qu’il voulut renoncer à ses plates bouffonneries et à ses quolibets faits pour les dernières classes du peuple, a dit, entre autres mots, non-seulement plus relevés que la comédie ne le comporte, mais au-dessus même de la gravité du cothurne :

« Ce qui advient à quelqu’un, peut advenir à tous. »

Si l’on pouvait jusqu’au fond de l’âme se pénétrer de cette vérité, et se représenter que tous les maux qui arrivent aux autres, chaque jour et en si grand nombre, ont le chemin libre pour parvenir jusqu’à nous, on serait armé avant que d’être attaqué. Il est trop tard, pour fortifier son âme contre le péril, quand le péril est en présence. « Je ne pensais pas que cela pût arriver ! je n’aurais jamais cru cet événement possible ! Et pourquoi non ? Quelles sont les richesses à la suite desquelles ne marchent point la pauvreté, la faim et la mendicité ? Quelle dignité, dont la robe prétexte, le bâton augural et la chaussure patricienne, ne soient accompagnés de souillures, de bannissement, de notes infamantes, de mille flétrissures, et du dernier mépris ? Quelle couronne n’est point menacée de sa chute, de sa dégradation, d’un maître et d’un bourreau ? Et, pour un tel changement, il ne faut pas un bien long intervalle : un seul moment suffit pour tomber du trône aux genoux du vainqueur.