Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/410

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sité, dont on ne manque jamais de triompher quand on sait la prévoir. L’essentiel ensuite est de ne point se tourmenter pour des objets ou par des soins superflus ; c’est-à-dire, de ne point convoiter ce que nous ne pouvons avoir ; et quand nous avons obtenu ce que nous désirions, de ne pas trop tard en reconnaitre, à notre grande confusion, toute la vanité : en un mot, que nos efforts ne soient ni sans objet, ni sans résultat, et que ce résultat ne soit point au-dessous de nos efforts. En effet, on regrette presque autant de n’avoir point réussi, que d’avoir à rougir du succès.

XII. Retranchons les allées et venues si ordinaires à ces hommes qu’on voit se montrer alternativement dans les cercles, au théâtre, dans les tribunaux : grâce à leur manie de se mêler des affaires d’autrui, ils ont toujours l’air occupé. Demandez-vous à l’un d’eux sortant de chez lui : « Où allez-vous ? quel est votre projet aujourd’hui ? » Il vous répondra : « Je n’en sais vraiment rien ; mais je verrai du monde, je trouverai bien quelque chose à faire. » Ils courent çà et là sans savoir pourquoi, quêtant des affaires, ne faisant jamais celles qu’ils avaient projetées, mais celles que l’occasion vient leur offrir. Leurs courses sont sans but, sans résultat, comme celles des fourmis qui grimpent sur un arbre ; montées jusqu’au sommet sans rien porter, elles en descendent à vide. Presque tous ces désœuvrés mènent une vie toute semblable à celle de ces insectes, et l’on pourrait à bon droit appeler leur existence une oisiveté active. Quelle pitié d’en voir quelques-uns courir comme pour éteindre un incendie, coudoyant ceux qui se trouvent sur leur passage ; tombant, et faisant tomber les autres avec eux ! Cependant, après avoir bien couru, soit pour saluer quelqu’un qui ne leur rendra pas leur salut, soit