Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/411

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pour suivre le cortège d’un défunt qu’ils ne connaissaient pas, soit pour assister au jugement obtenu par un plaideur de profession, soit pour être témoins des fiançailles d’un homme qui change souvent de femmes, soit enfin pour grossir le cortège d’une litière qu’au besoin eux-mêmes porteraient, ils rentrent enfin au logis accablés d’une inutile fatigue : ils protestent qu’ils ne savent pas eux-mêmes pourquoi ils sont sortis, où ils sont allés ; et demain on les verra recommencer les mêmes courses.

Que toute peine donc ait un but, un résultat : ces occupations futiles produisent, sur ces prétendus affairés, le même effet que les chimères sur l’esprit des aliénés ; car ceux-ci même ne se remuent point sans être poussés par quelque espoir ; ils sont excités par des apparences dont leur esprit en délire ne leur permet pas de connaître le peu de réalité. Il en est de même de tous ceux qui ne sortent que pour grossir la foule : les motifs les plus vains et les plus légers les promènent d’un bout de la ville à l’autre ; et sans qu’ils aient rien à faire au monde, l’aurore les chasse de chez eux. Enfin, après s’être heurtés en vain à plusieurs portes, et confondus en salutations auprès de maints nomenclateurs, dont plus d’un a refusé de les faire entrer, la personne qu’ils trouvent le plus difficilement au logis, c’est eux-mêmes.

De ce travers, naît un vice des plus odieux : la manie d’écouter tout ce qui se dit, la curiosité pour les secrets publics et privés, la connaissance d’une foule d’anecdotes qu’on ne peut sans péril ni rapporter ni entendre. C’est sans doute à ce propos que Démocrite a dit : « Pour vivre tranquille, il faut embrasser peu d’affaires publiques ou privées. » Il enten-