Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/413

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

deux excès également contraires à la tranquillité, de ne pouvoir ni changer de condition, ni rien souffrir. Il faut donc que l’âme, entièrement à soi-même, se détache de tous les objets extérieurs ; qu’elle prenne confiance en soi ; qu’autant que possible elle cherche en soi-même sa joie ; qu’elle n’estime que ses propres biens ; se retire de tous ceux qui lui sont étrangers ; se replie sur elle-même, devienne insensible aux perles, et prenne en bonne part jusqu’à l’adversité. On vint annoncer à notre Zénon que tous ses biens avaient péri dans un naufrage : « La fortune, dit-il, veut que je me livre à la philosophie avec plus de liberté d’esprit. » Un tyran menaçait Théodore le philosophe de le faire mourir, et de le priver de sépulture. « Tu peux te donner ce plaisir, reprit Théodore ; j’ai une pinte de sang à ton service. Quant à ma sépulture, quelle folie à toi de penser qu’il m’importe en rien de pourrir dans le sein de la terre ou à sa surface ! »

Canus Julius, un des plus grands hommes qui aient existé, et dont la gloire n’a point souffert d’être né même dans ce siècle, venait d’avoir une longue altercation avec Caligula ; comme il s’en allait, le nouveau Phalaris lui dit : « Ne vous flattez pas au moins d’une folle espérance, j’ai donné l’ordre de votre supplice. — Grâces vous soient rendues, très excellent prince ! » Qu’entendait-il par ce mot ? Je ne sais trop ; car il me présente plusieurs sens. Voulait-il adresser à Caïus une sanglante invective, et peindre toute la cruauté d’une tyrannie sous laquelle la mort était un bienfait ? Voulait-il lui reprocher cette furieuse démence, qui obligeait à lui rendre grâce, et ceux dont il tuait les enfants, et ceux dont il ravissait les