Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/412

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dait vraisemblablement par là les affaires inutiles : car celles qui sont nécessaires, tant dans l’ordre politique que dans l’ordre civil, on doit s’y livrer sans réserve et sans en limiter le nombre : mais dès qu’un devoir spécial ne nous y oblige point, il faut nous abstenir de toute démarche.

XIII. Souvent, en effet, plus on agit, plus on donne sur soi-même de prise à la fortune ; le plus sûr est de la mettre rarement à l’épreuve, ensuite de penser toujours à son inconstance, et de ne point compter sur sa loyauté. Je m’embarquerai, si rien ne m’en empêche ; je serai préteur, si rien n’y met obstacle, et telle affaire réussira, si rien ne vient à la traverse. Voilà ce qui nous fait dire que rien n’arrive au sage contre son attente ; nous ne l’avons pas soustrait aux malheurs, mais aux faux calculs que font les autres hommes : si ce n’est pas selon ses vœux que toutes choses lui arrivent, c’est du moins selon ses prévisions ; enfin, avant tout, il a prévu que ses projets rencontreraient quelque obstacle. Nul doute que le mauvais succès d’une entreprise ne cause à l’âme moins de déplaisir et de douleur, quand on ne s’est pas flatté de réussir.

XIV. Nous devons aussi nous rendre faciles, et ne point nous attacher trop vivement à nos projets : sachons passer dans la route où le sort nous mène ; ne craignons pas les changements dans nos plans et dans notre condition, mais n’allons pas tomber dans la légèreté, ce vice essentiellement ennemi de notre repos. En effet, si ce ne peut être sans un déplorable tourment d’esprit que l’opiniâtreté se voit presque toujours en butte aux mécomptes de la fortune, bien pire encore est la légèreté qui ne peut jamais compter sur elle-même. Ce sont