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LETTRES DE SÉNÈQUE

notre attention sur des biens éloignés, incertains, errants, quand nous pouvons tirer le bonheur de notre propre fonds. On ne nous laisse vraiment pas la liberté de marcher droit. Nous sommes détournés de la bonne route par nos parents, nous le sommes par nos esclaves ; nul ne se trompe à son seul détriment ; sa démence est une contagion qu’il répand sur ses voisins, et ils lui rendent la pareille. C’est pour cela qu’on voit dans les particuliers les vices du peuple entier, parce que c’est le peuple qui les a donnés ; en rendant chacun pire, il est devenu pire lui-même ; de là cet amas énorme de méchanceté composé de ce que dans chacun l’on reconnaît de plus mauvais. Ayons donc un gardien qui, de temps en temps, nous tire par l’oreille, qui fasse justice des vains préjugés, et proteste contre ce que loue le vulgaire. C’est se tromper que de croire que les vices naissent avec nous : ils nous sont survenus, ils nous ont été inculqués. Réprimons donc, par de fréquents avis, les préjugés qu’on proclame autour de nous. La nature ne nous a prédisposés à aucun vice ; nous sommes sortis de ses mains vertueux et libres. Elle n’a placé en évidence rien qui pût exciter notre avarice ; elle a mis sous nos pieds l’or et l’argent ; elle nous a fait écraser et fouler tous ces métaux pour lesquels on nous foule et Ton nous écrase. Elle nous a tourné la face vers le ciel, afin qu’en levant la tête nous puissions voir tout ce qu’elle a fait de magnifique et d’admirable : le lever, le coucher des astres, la rotation rapide du monde qui, pendant le jour, nous donne le spectacle de la terre, pendant la nuit, celui du ciel ; la marche des étoiles, lente, si l’on envisage la totalité de la sphère, très-rapide, si l’on considère les espaces immenses qu’elles par-