Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/36

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ble n’est pas possible sans le concours de la vertu. » — Mais qui ignore que les hommes les plus étrangers à la sagesse sont les plus comblés de ces plaisirs que vous vantez ; que les jouissances sont prodiguées à la perversité, et que l’âme elle-même se crée des satisfactions à la fois nombreuses et mauvaises ? C’est d’abord l’insolence, l’estime excessive de soi-même, une vanité par laquelle on se met au-dessus de tous les autres, un amour-propre aveugle et imprévoyant, une mollesse énervante, des transports de joie pour les motifs les plus minces et les plus puérils ; c’est aussi un ton railleur, un orgueil qui se plaît à humilier autrui, l’apathie, l’affaissement d’une âme qui s’endort sur sa propre lâcheté. Toutes ces folies, la vertu les dissipe en nous prenant par l’oreille ; elle pèse les plaisirs avant de les admettre, et quand elle les a trouvés de bon aloi, elle n’en fait pas grand cas ; c’est tout au plus si elle les tolère, heureuse, non pas d’en user, mais de les tempérer : or la tempérance, en enlevant quelque chose au plaisir, porte atteinte à votre souverain bien. Vous vous jetez dans les bras du plaisir, moi je le tiens à distance ; vous l’épuisez, moi je le goûte ; vous y voyez le bien suprême, pour moi il n’est même pas un bien ; vous faites tout pour lui, et moi rien.