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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/107

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s’élever à tout ce qui est honorable ; l’habitude la rendrait comme nous capable de grands efforts aussi bien que des grandes douleurs. Et dans quelle ville, bons dieux ! pensé-je à réhabiliter les femmes ! dans une ville où Lucrèce et Brutus affranchirent les Romains d’un roi qui menaçait leurs têtes : car si nous devons la liberté à Brutus, nous devons Brutus à Lucrèce ; dans une ville où Clélie, bravant et le Tibre et l’ennemi, fut pour son insigne courage placée par nous presque au rang des héros. Du haut de son coursier d’airain, sur cette Voie Sacrée où se pressent les flots des promeneurs, elle fait rougir nos jeunes gens, bercés sur leurs molles litières, de paraître en cet équipage aux lieux où les femmes mêmes méritaient de nous la statue équestre.

Vous voulez des exemples pris dans votre sexe : je n’irai pas les chercher loin, ni frapper de porte en porte : je trouverai dans la même maison, les deux Cornélies. La première, fille de Scipion, et qui donna le jour aux Gracques, fut douze fois mère, et douze fois en deuil de ses enfants. Elle regretta peu ceux dont la naissance, comme la mort, ne furent pas sensibles à la république ; mais elle vit deux de ses fils massacrés et privés de sépulture, Tib. et C. Gracchus, grands hommes sans contredit, sinon hommes vertueux, et à ceux qui voulaient la consoler et la plaindre elle répondit : « Jamais je n’estimerai malheureuse celle qui fut mère des Gracques. »

L’autre Cornélie, femme de Livius Drusus, perdit son fils, jeune homme de grand renom, d’un génie distingué, qui marchait sur les traces des Gracques, et qui, laissant en instance tant de lois proposées, périt dans sa demeure sans qu’on sût par quelle main. Elle montra toutefois non moins de courage