Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/115

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Je sais ce que vous allez dire : « Ce qui me touche ici n’est pas un dommage matériel. Celui-là ne mérite pas d’être consolé, qui se chagrine de la perte d’un fils, comme il ferait de celle d’un esclave, et qui, dans un tel moment, peut songer à autre chose qu’à ce fils. » Pourquoi donc, Marcia, êtes- vous si vivement affectée ? est-ce parce que le vôtre est mort, ou parce qu’il n’a pas assez longtemps vécu ? Si vous pleurez sa mort, à toute heure de sa vie vous deviez la pleurer, car vous saviez que chaque heure était pour lui un commencement de mort. Hors de cette vie, assurez-vous-en bien, on n’éprouve plus de mal, et les effrayants récits qui se font des enfers sont de pures fables. Les morts n’ont à craindre ni ténébreuses prisons, ni lacs de feu, ni fleuve d’oubli ; et dans ce séjour d’indépendance, il n’y a ni tribunaux, ni accusés, ni nouveaux tyrans : ce sont là jeux de poètes, qui nous ont agités de vaines terreurs. La mort est la délivrance, la fin de toutes nos douleurs, la limite où le malheur s’arrête ; elle nous replonge dans le tranquille repos où nous étions ensevelis avant de naître. Vous pleurez les morts, pleurez donc aussi ceux qui ne sont pas nés. La mort n’est ni un bien ni un mal. Pour qu’une chose soit l’un ou l’autre, il faut qu’elle soit d’une manière quelconque; mais ce qui n’est en soi que néant, ce en quoi tout s’anéantit, ne nous livre à aucun état. Le bien comme le mal supposent toujours quelque élément, une sphère d’action. L’affranchi de la nature ne peut plus rester dans les liens du sort, et celui qui n’est pas, ne saurait être malheureux. Votre fils a passé les confins de la servitude : recueilli dans le sein d’une profonde et éternelle paix, ni la crainte de la pauvreté, ni le soin des richesses, ni