Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/123

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ce fut une joie publique de voir la voracité de ces monstres insatiables frustrée de sa proie. À l’instigation de Séjan, les accusateurs portent plainte au tribunal des consuls, de ce que Cremutius Cordus se laisse mourir, et prétendent que ce sont eux qui l’y ont forcé : tant ils craignent que sa dépouille ne leur échappe ! La question était grave : quand l’accusé meurt, n’a-t-on plus droit sur ses biens ? Pendant qu’on délibère, pendant que les accusateurs reviennent à la charge, votre père s’était mis lui-même hors de cause.

Vous voyez, Marcia, quelles calamités imprévues fondent sur nous dans ces jours d’iniquité. Vous pleurez la mort d’un fils comme une nécessité cruelle, et celle de votre père fut un droit qu’on lui disputa !

XXIII. Outre que l’avenir est toujours incertain, et laisse au malheur trop de chances, combien la route du ciel est plus facile aux âmes retirées de bonne heure du commerce des humains ! Chargées de moins de souillures, délivrées de cette fange qui n’a pu les ternir entièrement, enlevées, avant de s’y être dégradées, aux soins terrestres, elles revolent plus légères vers leur patrie, promptes à se dégager de ce qu’elles contractèrent d’impur et de grossier. Aussi ce séjour du corps n’est-il jamais cher aux grandes âmes ; elles brûlent de s’affranchir, de s’arracher à l’étroite prison qui les gêne, accoutumées qu’elles sont à parcourir de plus sublimes régions, et à regarder d’en haut les choses de la terre. Voilà pourquoi Platon s’écrie que l’âme tout entière du sage aspire à la mort, objet de ses vœux, de ses méditations, passion constante qui la pousse et l’emporte hors de ce monde. Eh quoi ! Marcia, en voyant dans votre jeune fils déjà la prudence d’un vieillard, une âme victorieuse des volup-