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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/122

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Rappelez-vous ces temps affreux où Séjan livrait votre père à son client, Satrius Secundus, comme on donne une gratification de guerre. Le favori était furieux de quelques mots hardis échappés à Cremutius, qui n’avait pu s’empêcher de dire : On ne place pas Séjan sur nos têtes ; il y monte. On votait au même Séjan une statue pour être érigée au théâtre de Pompée qu’avaient consumé les flammes, et que Tibère faisait rebâtir : C’est pour le coup, s’écria votre père, que ce théâtre périt véritablement. Eh ! qui n’eût éclaté, en voyant un Séjan fouler la cendre de Pompée, et le nom d’un soldat sans foi consacré sur le monument d’un héros ? N’importe, l’inauguration est faite, et ces chiens dévorants, apprivoisés pour le maître seul, terribles pour tout autre, et qu’il engraissait de sang humain, aboient autour de votre père qu’ils ont ordre de déchirer. Que faire ? il lui fallait demander la vie à Séjan, ou la mort à sa propre fille : tous deux sont inflexibles : son choix est fait : il trompera sa fille. Au sortir d’un bain, afin de mieux l’abuser, il rentre dans sa chambre sous prétexte d’y faire une collation, renvoie ses esclaves, jette par la fenêtre quelques débris de mets pour faire croire qu’il a mangé, et s’abstient de souper comme ayant déjà suffisamment pris de nourriture. Le second, le troisième jour, il fait de même : le quatrième jour, sa faiblesse le trahit. Alors vous serrant dans ses bras : « Ma chère fille, apprends la seule chose que je t’aie jamais cachée : tu me vois en chemin de mourir, et le passage est presque à demi franchi. Ne me rappelle pas à la vie : tu ne le dois ni ne le peux.» Puis il ordonne qu’on ferme tout accès à la lumière, et s’ensevelit dans les ténèbres. Sa résolution connue,