Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/127

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tels que sont des êtres parfaits, de véritables citoyens du ciel ; rougissez de toute pensée vulgaire et pusillanime, et de pleurer leur bienheureuse transfiguration. Libres dans l’éternel espace, et jouissant de l’immensité, rien ne les sépare plus, ni les barrières de l’Océan, ni hautes montagnes, ni profondes vallées, ni écueils, ni syrtes périlleux. Toutes leurs voies sont unies ; ils se transportent sur tous les points d’un vol prompt et facile ; leurs âmes se pénètrent l’une l’autre, et brillent confondues parmi les astres.

XXVI. Figurez-vous, ô Marcia ! entendre, du haut des célestes voûtes, la voix de ce père qui eut sur vous tout l’ascendant que vous eûtes sur votre fils. Ce n’est plus cet accent de douleur qui déplorait nos guerres civiles, et par lequel les proscripteurs furent à jamais proscrits dans l’histoire ; c’est un langage plus sublime encore, et digne du lieu d’où il parle : « Pourquoi, ma fille, t’abîmer dans de si longs ennuis ? D’où vient cet aveuglement profond qui te fait croire ton fils injustement traité, parce qu’il a pris en dégoût la vie, et s’est retiré vers ses pères ? Ne sais-tu point par quels orages la fortune bouleverse le monde, qu’elle n’est indulgente et facile qu’à ceux qui ont avec elle le moins d’engagements ? Te citerai-je et ces rois dont le bonheur eût été complet, si la mort fût venue plus tôt les soustraire aux maux qui allaient suivre ? et tous ces capitaines romains, dont la gloire serait sans ombre si l’on ôtait quelque chose à leurs jours ? et ces héros, ces illustres têtes, qui n’ont été formées que pour le glaive de la soldatesque ? Regarde ton père et ton aïeul : ton aïeul est tombé à la merci de son assassin; je n’ai, moi, souffert qu’aucune main touchât à ma per-