Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/128

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sonne, et, m’abstenant de toute nourriture, j’ai fait voir combien j’étais fier du courage qui dicta mes écrits. Faut-il, que, dans notre famille, celui-là fasse couler le plus de larmes, dont la mort a été la plus heureuse ? Ici toutes les âmes ne forment qu’une âme ; et nous voyons, hors de l’épaisse nuit qui vous environne, que chez les hommes, rien n’est, comme ils le pensent, ni désirable, ni élevé, ni magnifique : tout y est bassesse, misère, anxiété ; et quel mince reflet vous recevez de notre lumière ! Ajouterai-je qu’ici point d’armées ennemies qui s’entrechoquent avec fureur ; point de flottes qui se brisent les unes contre les autres ? on n’y suppose, on n’y trame point le parricide ; on n’y voit point de tribunaux retentir tout le jour de procès ; la pensée humaine a déroulé ses voiles, et le cœur ses replis ; tout se passe à découvert et sous les regards publics ; le tableau de ce qui fut, de ce qui doit être, est devant nos yeux. Je bornais ma gloire à tracer les annales d’un siècle, de la moindre partie de l’univers, les faits d’une poignée d’hommes : que de siècles, maintenant quelle immense chaîne de générations je suis maître de contempler ! tous les temps m’apparaissent : je puis voir quels empires doivent s’écrouler, la chute de villes fameuses, les nouvelles invasions des mers. Oui, si l’exemple de la commune destinée peut consoler un deuil personnel, sache que rien de ce qui est n’est fait pour demeurer. Le temps doit tout abattre et tout emporter avec lui : il se jouera, non seulement des hommes, débris si chétifs de son capricieux empire, mais des lieux, des contrées entières, des grandes divisions du globe, balaiera des montagnes, en fera surgir de nouvelles ; absorbera les mers, déplacera le cours des fleuves, et rompant les communications des peuples, dissoudra les sociétés et la grande famille des humains. Le sol, au loin