Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/157

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ARGUMENT

Cet ouvrage est adressé à Lucilius Junior, procurateur de Sicile, le même que Sénèque a immortalisé en lui dédiant ses Lettres. Le traité de la Providence paraît avoir été composé sous Néron : les critiques supposent généralement qu’il formait l’un des livres d’un ouvrage complet sur la morale, auquel Sénèque travailla dans les dernières années de sa vie, et dont lui-même parle dans ses Lettres cvi, cviii et cix. Lactance, dont les écrits sont si précieux par eux-mêmes et par les documents qu’ils nous fournissent sur l’antiquité littéraire, parle en mains endroits de ce grand traité de morale, dont nous devons regretter la perte : car, s’il nous était parvenu, nous posséderions en son entier le corps de la doctrine de Sénèque, et nous aurions plus de moyens de concilier les contradictions qui se trouvent assez souvent entre ses différents écrits.

Le livre de la Providence n’est pas un traité général sur cette grande question, ainsi que paraît l’indiquer son premier titre, qui, probablement, n’est pas de la main de Sénèque. Sans embrasser cet immense sujet dans toute son élévation, dans toute son étendue, l’auteur se borne à justifier les dieux au sujet des maux dont les gens de bien ne sont pas exempts. C’est ce que porte le second et sans doute le véritable titre de ce traité : Qaare bonis viris mala accidanty quum sit Providentia ? — A toto particulam revelli placet, comme Sénèque l’exprime lui-même (ch. i).

Cette question de la providence, appliquée aux destinées humaines, a exercé les philosophes anciens et les modernes, et tous n’ont présenté que des systèmes incomplets, incohérents, contradictoires. Les uns ont nié l’existence d’un être supérieur, par conséquent ils ont nié la providence : les autres, en admettant une providence générale, rejetaient une providence particulière, et laissaient agir les causes secondes : ceux-là ne voyaient partout que la fatalité, les causes occultes et les effets du hasard. D’autres reconnaissaient une providence générale, et, par suite, les peines attachées, dans l’autre vie, à l’infraction des lois naturelles gravées dans tous les cœurs. Tous ces systèmes, fondés sur le raisonnement, sont plus ou moins faciles à détruire par la même arme : car tous manquent de base et de sanction.

Seuls conséquents dans leur respectueux amour de la Providence, me paraissent le chrétien et le stoïcien. Le premier montre du doigt le ciel que la révélation a promise à la foi comme une récompense achetée par l’homme vertueux au prix des tribulations d’une vie d’épreuves. Il y a là base et sanction pour admettre et justifier la providence