Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

présenta le bourreau, comme s’il prenait un breuvage d’immortalité ? pour avoir disserté sur la mort jusqu’à l’instant même de mourir ? Le trouvez-vous à plaindre, parce qu’il sentit son sang se figer, et que le froid, qui s’insinuait dans ses veines, y éteignit peu à peu la vie ? Combien on doit plus envier son sort que celui de ces riches voluptueux qui boivent dans des coupes de pierre précieuse, et pour qui un jeune débauché, d’une virilité équivoque ou supprimée, et instruit à tout souffrir, délaie dans l’or la neige qui tombe de sa main ! Ce qu’ils ont bu, ils le rendront jusqu’à la dernière goutte avec les angoisses du vomissement et avec le dégoût de la bile qui reflue dans leur bouche ; au lieu que Socrate avala le poison avec joie et sans difficulté.

Pour Caton, tous les hommes reconnaissent, d’un accord unanime, qu’il atteignit le comble de la félicité. C’était pourtant lui que la nature avait choisi pour recevoir le choc des événements les plus terribles. « Les inimitiés des grands sont funestes, dit-elle ; je veux donc qu’il soit en butte à la haine de Pompée, de César et de Crassus. Il est révoltant d’être supplanté par un rival sans mérite ; on lui préférera Vatinius. Il est affreux d’être engagé dans les guerres civiles ; il combattra dans les trois parties du monde pour la bonne cause, et ses revers égaleront son intrépidité. II est cruel d’attenter à sa propre vie ; il y attentera. Qu’aurai-je donc fait par là ? j’aurai montré à tous que ces prétendus maux n’en sont pas, puisque Caton m’en aura paru digne ? »

IV. Les prospérités descendent sur le vulgaire, sur les âmes communes. Mettre sous ses pieds les calamités et les terreurs des mortels est le privilège des grands hommes. Jouir d’un