Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/170

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bonheur continuel, et couler ses jours sans recevoir aucune atteinte aux siens, c’est ne pas connaître une moitié de la condition humaine. Vous êtes magnanime ; mais comment le saurai-je, si la fortune ne vous a pas mis à portée de montrer votre vertu ? Vous êtes descendu dans la carrière olympique, mais vous étiez seul ; vous avez remporté la couronne, mais non pas la victoire. Je vous félicite, non de votre courage, mais de l’honneur qu’on vous a décerné, comme si vous aviez obtenu le consulat ou la préture.

On peut en dire autant à l’homme de bien, lorsque l’adversité ne lui a pas procuré une seule rencontre, où il lui fût possible de déployer sa force d’âme. Vous êtes malheureux de n’avoir jamais eu de malheur ; vous avez passé votre vie sans combat : on ne saura pas de quoi vous étiez capable ; vous ne le saurez pas vous-même. Pour se connaître, il faut des épreuves. On ne sait la mesure de ses forces qu’en les essayant. Aussi a-t-on vu des hommes s’offrir d’eux-mêmes à l’adversité trop tardive ; et leur vertu, qui se serait perdue dans l’obscurité, s’est créé des occasions de briller. Oui, le grand homme aime les traverses, comme le brave soldat, les périls. Sous l’empire de C. César, j’entendis Triumphus le milmmillon se plaindre de la rareté des jeux : « Que de beaux jours perdus ! » s’écriait-il.

Le courage est avide de périls, il songe à son but, et nullement aux maux qu’il souffrira, d’autant plus qu’ils font une partie de sa gloire. Les guerriers montrent avec orgueil leurs blessures ; ils regardent avec joie leur sang couler ; c’est une faveur des dieux. Quoique les soldats qui reviennent de la bataille sans avoir reçu de coups aient aussi bien fait leur devoir, ce sont les blessés qui attirent seuls tous les regards.