Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/17

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qu’on appelle mal, je ne vois rien d’aussi affreux que me le faisait l’opinion du vulgaire. Le mot lui-même, d’après l’idée générale et le préjugé, blesse les oreilles : c’est un son lugubre qu’on n’entend point prononcer sans horreur. Ainsi l’a voulu le peuple ; mais les décisions du peuple sont, en grande partie, abrogées par les sages.

VI. Donc abstraction faite des jugements de la multitude, qui, sans rien examiner, se laisse éblouir par l’apparence, voyons ce que c’est que l’exil : ce n’est réellement qu’un changement de lieu. Or, pour ne point paraître en restreindre les effets, et lui ôter ce qu’il a de plus horrible, j’ajoute que ce déplacement est suivi d’inconvénients, tels que la pauvreté, l’opprobre, le mépris. Je combattrai plus tard tous ces inconvénients : bornons-nous à considérer, pour l’instant, ce que le déplacement a de fâcheux en soi. Etre privé de sa patrie est, dit-on, un supplice insupportable. Eh bien regardez cette foule à laquelle suffisent à peine les habitations d’une ville immense : la plus grande partie de cette multitude est privée de sa patrie. Des villes municipales, des colonies, de tous les points de l’univers on afflue vers cette cité. Les uns y sont conduits par l’ambition, les autres par l’obligation attachée à des fonctions publiques, ou par des ambassades, ou par la passion du luxe qui recherche les villes opulentes, toujours favorables à la corruption ; ceux-ci sont attirés par l’amour des beaux-arts ou des spectacles ; ceux-là, par l’amitié ou par le désir de déployer leur talent sur un plus vaste théâtre ; quelques-uns viennent y trafiquer de leur beauté, quelques autres vendre leur éloquence. Enfin, des individus de toute espèce accou-