Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/18

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rent dans cette capitale, qui a de grandes récompenses pour les vices comme pour les vertus. Appelez par son nom chacun de ses habitants, demandez-lui d’où il est ; vous verrez que la plupart ont quitté leur pays natal pour s’établir dans une cité, sans doute la plus grande, la plus belle du monde, mais dans une cité qui n’est pas leur berceau. De Rome, pour ainsi dire la patrie du genre humain, transportez-vous dans les autres villes ; il n’en est pas une dont les habitants ne soient la plupart étrangers. Abandonnez maintenant ces lieux, dont le site enchanteur et commode est le rendez-vous des nations ; parcourez les déserts, les îles sauvages, Sciathos, Sériphe, Gyare et la Corse ; vous ne trouverez aucune terre d’exil, où quelqu’un ne demeure pour son plaisir. Quoi de plus aride, de plus isolé que le rocher que j’habite ? quel pays plus pauvre en ressources ? quels habitants plus barbares ? quel aspect plus affreux ? quel climat plus dur ? et cependant on y voit plus d’étrangers que d’indigènes.

Le changement de lieu offre en soi si peu de désagréments, que l’on s’est expatrié même pour venir dans cette île. Je connais des philosophes qui prétendent que l’homme a un penchant irrésistible à se déplacer et à changer de demeure. Son âme remuante et mobile ne se fixe jamais : elle se répand partout ; elle disperse ses idées dans tous les lieux connus et inconnus, toujours errante, toujours ennemie du repos, toujours amoureuse de la nouveauté. Vous n’en serez point surprise, si vous considérez son principe et son origine. Elle n’est pas une partie de cette masse terrestre et pesante qu’on appelle