Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/175

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biens ni de vrais maux. Or, s’il n’est donné qu’aux hommes vertueux d’en jouir, les uns seront réellement des biens, et les autres des maux, s’ils ne sont infligés qu’aux méchants. La cécité serait une chose abominable, s’il n’y avait que ceux qui mériteraient d’avoir les yeux arrachés qui perdissent la vue : qu’Appius et Metellus soient donc privés de la lumière. Les richesses ne sont pas un bien : ainsi, qu’Ellius, le vendeur de prostituées, soit riche, afin que les hommes qui rendent un culte à l’argent dans les temples, le voient affluer aussi dans les lieux de débauche. Dieu n’a pas de meilleur moyen de décrier les objets de nos vœux, que de les retirer aux honnêtes gens, pour les transporter aux infâmes.

« Mais, direz-vous, c’est une injustice que les bons soient mutilés, percés de coups, chargés de chaînes ; tandis que les méchants conservent leurs membres intacts, marchent en liberté, vivent dans les délices. » C’est donc une injustice que les plus braves guerriers prennent les armes, veillent la nuit dans les camps, et défendent les retranchements, avec l’appareil sur leurs blessures ; taudis que les débauchés de profession, amusement de la luxure, jouissent dans la ville d’une profonde sécurité ? C’est donc une injustice que les plus nobles vierges soient réveillées pendant la nuit pour la célébration des sacrifices ; tandis que des femmes impudiques reposent dans les bras du sommeil ?

Les obligations laborieuses réclament les hommes les plus distingués. Le sénat se tient quelquefois assemblé des journées entières ; pendant ce temps-là, les plus vils citoyens cherchent un amusement à leur paresse dans le Champ-de-Mars, ou s’enivrent dans les cabarets, ou perdent leur temps à babiller dans