Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/179

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varice qui a soif du bien d’autrui : Dieu prend les hommes vertueux sous sa défense et sous sa protection. Exigera-t-on aussi qu’il garde leur bagage ? Ils le tiennent quitte de ce soin par leur mépris pour ce qui ne touche pas à l’âme.

Démocrite se dépouilla de ses richesses, les regardant comme un fardeau incommode pour le sage. Est-il surprenant que Dieu prépare aux gens de bien le sort qu’ils recherchent quelquefois eux-mêmes ? « Ils perdent leurs enfants. » Et ne leur est-il jamais arrivé de les condamner eux-mêmes à la mort ? « On les envoie en exil. » Et ne quittent-ils pas quelquefois leur patrie pour ne la plus revoir ? « On leur ôte la vie. » Et ne se l’arrachent-ils pas de leurs propres mains ? « Pourquoi souffrent-ils certaines adversités ? » C’est pour apprendre aux autres à souffrir. Ils sont nés pour servir d’exemple. Figurez-vous que Dieu leur dit : « Qu’avez-vous à vous plaindre de moi, vous qui avez embrassé la vertu ? J’ai environné les autres de biens trompeurs ; j’ai abusé des esprits frivoles, comme par la longue illusion d’un songe. Je leur ai prodigué l’or, l’argent, l’ivoire pour parure ; mais au dedans, ils n’ont pas le moindre bien. Ces hommes, qui vous semblent fortunés, si vous considérez, non pas l’apparence, mais le fond, sont vils, misérables, hideux, décorés seulement à la surface, comme les murs de leur palais. Ce bonheur n’est point pur et identifié avec eux ; ce n’est qu’une application, et encore très-mince. Tant qu’ils peuvent rester debout et se montrer comme il leur plaît, ils brillent, ils en imposent ; mais au, premier accident qui les déconcerte et les met à nu, on aperçoit la boue qui cachait cet