Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/395

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DES BIENFAITS
LIVRE PREMIER

I. Parmi tant d’erreurs diverses où nous entraînent l’irréflexion et la légèreté de notre esprit, la moins pardonnable, à mon avis, mon cher Libéralis, c’est de ne savoir ni donner ni recevoir. Car nécessairement un bienfait mal placé doit être mal reconnu ; mais avons-nous fait un ingrat, il n’est plus temps de nous plaindre : c’était un service perdu au moment où il était rendu. Et il ne faut pas s’étonner qu’au milieu de vices si graves et si nombreux, le plus commun soit encore l’ingratitude. Cela tient à plusieurs causes, et surtout à notre imprudence dans le choix des personnes que nous obligeons : mais nous qui, avant de prêter notre argent, avons soin de prendre des informations si exactes sur les biens meubles et immeubles de l’emprunteur, et qui regarderions comme une folie de semer dans un terrain épuisé ou stérile ; aveugles dans notre bienfaisance, nous gaspillons au hasard plutôt que nous ne donnons. Et peut-être n’y a-t-il pas moins de honte à nier un bienfait, qu’à en réclamer le prix. C’est un genre de créance dont le remboursement est tout volontaire, et l’on a mauvaise grâce à se plaindre de son débiteur ; car ces dettes-là ne se paient pas en argent : c’est le cœur qui les acquitte, et c’est les acquitter, que d’aimer à les reconnaître.