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Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/396

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Mais si l’on doit des reproches à celui dont la gratitude ne va même pas jusqu’à l’aveù de sa dette, le bienfaiteur lui-même est-il toujours exempt de blâme ? Nous rencontrons beaucoup d’ingrats ; nous en faisons davantage. Tantôt notre exigence reproche un bienfait et en exige l’usure ; tantôt notre légèreté se repentd’un service un moment après l’avoir rendu ; tantôt notre humeur chagrine impute à mal les plus petites circonstances. Ainsi nous étouffons la reconnaissance, non-seulement après avoir obligé, mais à l’instant oii nous obligeons. Qui de nous, en effet, cède à une simple prière, à une première demande ? qui de nous, en la voyant venir, n’a pas froncé le sourcil, détourné le visage, prétexté des affaires, prolongé à dessein la conversation par ces discours qui n’en finissent pas, pour ôter l’occasion de demander ? qui de nous, enfin, par mille moyens divers, n’a pas éludé les démarches empressées de l’indigence ? Puis, amenés au pied du mur, ou nous avons remis à un autre jour, ce qui n’est qu’un refus déguisé ; ou nous avons promis, mais avec contrainte, mais d’un air de mauvaise humeur, mais avec des paroles ambiguës qui ont peine à sortir. Aussi n’a-t-on qu’une reconnaissance de mauvaise grâce pour un service plutôt arraché que rendu. Quelle obligation puis-je vous avoir d’un bienfait que vous laissez tomber du haut de votre orgueil, ou que, dans votre colère, vous me jetez à la tête, ou que vous abandonnez de guerre lasse, et pour vous soustraire à l’importunité ? N’espérez pas de retour d’un homme lassé par vos délais, torturé par l’attente. La reconnaissance n’est exigible que dans la mesure du bienfait : il ne faut donc pas obliger à la légère ; car nous ne croyons devoir qu’à nous-mêmes le bien qu’on