Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/94

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Le sage ensuite dut montrer à Livie qu’un fils lui restait ; que de celui qu’elle avait perdu, il lui restait des petits-enfants.

VI. Marcia, la cause de Livie est la vôtre ; c’est vous qu’Aréus assistait, vous qu’il consolait en elle. Mais allons plus loin : admettons qu’on vous a ravi plus qu’aucune mère ait jamais perdu, et je n’atténue point sous des mots radoucis la grandeur de votre infortune ; si les pleurs désarment le sort, pleurons ensemble ; que tous nos jours s’écoulent dans le deuil ; que nos nuits, sans sommeil, se consument au sein de la tristesse ; que nos mains frappent, lacèrent notre poitrine, et s’attaquent même à notre visage ; épuisons sur nous toutes les rigueurs d’un salutaire désespoir. Mais si nuls sanglots ne rappellent à la vie ceux qui ne sont plus ; si le destin est immuable, à jamais fixe dans ses lois que les plus touchantes misères ne sauraient changer ; si enfin la mort ne lâche point sa proie, cessons une douleur qui serait sans fruit. Réglons donc ses transports, et ne nous laissons pas emporter à sa violence. Le pilote est déshonoré, quand les flots lui arrachent des mains le gouvernail, quand il abandonne la voile que se disputent les vents, et qu’il livre à l’ouragan le navire ; mais, au sein même du naufrage, admirons celui que les flots engloutissent ferme à son timon et luttant jusqu’au bout.

VII. « Rien n’est plus naturel que de regretter les siens. » Qui le nie, tant que les regrets sont modérés ? L’absence, et à plus forte raison la mort de qui nous est cher, est nécessairement douloureuse et serre le cœur des plus résolus. Mais le préjugé entraîne au-delà de ce que nous impose la nature.

Voyez la brute : ses regrets sont véhéments, et pourtant