Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/13

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faitement observées. La description des enfers dans l’Énéide n’est point la servile copie de celle de l’Odyssée ; les Géorgiques sont romaines ; et si le poète bucolique reste Grec dans quelques églogues, il ne l’est point dans Gallus, il est presque chrétien dans Pollion. Ainsi de toute la littérature vraiment latine : Horace n’a pas seulement reproduit les idées de Pindare, de Stésichore et d’Alcée ; il a mis dans la forme grecque l’esprit de son temps, il a touché l’avenir en s’appuyant sur le passé. Il faut en dire autant de Lucrèce, de Catulle, d’Ovide et des poètes latins qui n’ont pas écrit seulement pour écrire, et qui ont pensé que le premier point pour faire de l’art, c’était d’avoir une idée à exprimer.

Voilà comment nous croyons qu’il faut comprendre l’imitation littéraire. Cette manière n’a pas l’inconvénient de stériliser l’art en l’isolant de tout ce qui peut lui prêter une valeur positive. Envisagé comme l’expression des idées et des faits de chaque époque, il devient le témoin du passé, le représentant des peuples dont il éternise la mémoire et les œuvres ; il marque le rapport des temps et la succession des idées. De ce point de vue, les questions d’art sont vraiment utiles, et servent à résoudre d’autres questions plus graves et plus profondes ; au lieu qu’en séparant l’art de ce qui le fait vivre, de manière à ne lui laisser d’autre but et d’autre fin que lui-même, on se perd dans un abîme de divagations stériles, et de questions mal posées, sans fruit et sans sagesse, comme celle qui fut agitée au dix-septième siècle sur le mérite relatif des anciens et des modernes.