Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poète ; Caton vengea l’exil forcé de Névius par l’exil volontaire de Scipion, qui, en mourant, déclara sa patrie ingrate, et la déshérita 'de ses os parce qu’elle avait repoussé dans sa personne les mœurs, les idées et les arts de la Grèce.

Mais ce triomphe du génie latin ne fut pas de longue durée ; il semble même que la Grèce ne fut un instant repoussée de Rome que grâce au zèle immodéré de ses patrons qui voulaient l’y faire entrer avec trop de puissance et de fracas ; naturellement et sans violence, elle devait s’emparer de cette terre vers laquelle un certain vide attirait tous les souffles de l’Orient. Caton lui-même, le plus ardent défenseur du génie latin, finit par reconnaître l’inutilité de sa résistance ; il étudie les lettres grecques avant de mourir, et, tout en maudissant le génie corrupteur et la perversité des Grecs, il déclare à son fils qu’il est peut-être bon d’effleurer leurs arts. Après lui, Rome n’eut plus qu’à se laisser aller tout ouvertement dans cette voie, où une puissance mystérieuse l’entraînait ; et cent ans plus tard les compatriotes d’Ennius avaient mérité l’épithète que ce poète calabrois leur avait donnée : ils étaient Grecs autant qu’ils pouvaient l’être, c’est-à-dire autant qu’un peuple qui adopte les idées d’un autre peut cesser d’être lui-même.

La même chose est arrivée chez nous, avec la même résistance du génie national ou plutôt de l’esprit moderne. « Si les Latins, dit La Harpe, ont tout emprunté des Grecs, nous avons tout emprunté des uns et des autres. » Mais ce qui nous semble n’avoir pas été assez remarqué, c’est que nous devons plus aux premiers