Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/18

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intérêt, « s’il se livre en vers pompeux à de tragiques fureurs[1]. »

Dans un autre endroit[2], cet excellent juge se plaît à reconnaître aux écrivains de son époque d’heureuses dispositions pour ce genre de poëme : « Le génie romain, dit-il, ne manque naturellement ni d’élévation, ni de force ; il a l’accent tragique et montre une heureuse audace. » Il est vrai qu’il ajoute : « Nos auteurs craignent trop les ratures et les corrections. » Mais que penser de cette parole ? Elle s’applique évidemment à tous les écrivains de l’époque en général, et cependant ceux de ces auteurs dont les œuvres nous sont parvenues, ne nous semblent en rien inférieurs aux plus grands d’entre les Grecs. On peut croire qu’il en serait de même des poètes tragiques, si le temps les avait épargnés.

Cette erreur, de voir toute la tragédie latine dans le Théâtre de Sénèque, a fait chercher dans la nature même du génie romain, dans les institutions, dans les mœurs, des raisons à l’appui du jugement abusif qu’on en a porté. Ce qu’on a pu dire dans ce sens, Horace l’avait déjà dit. Il ne cache pas le peu de goût des Romains pour la tragédie, ou plutôt leur préférence pour d’autres spectacles moins nobles et moins dignes de leur attention. « Ce qui effraie, dit-il, et chasse de la scène le poète le plus hardi, c’est de voir la multitude ignorante et stupide, sans mérite et sans dignité, mais fière de la puissance du nombre, et prête à fermer le

  1. Épitres, livre 1er, ép. 3, An tragica desævit et ampullatur in arte.
  2. Épitres, livre II, ép. 1.