Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/33

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et si respectable se heurter ainsi de front, avant de songer soi-même à rectifier ce que leurs sentimens peuvent avoir de faux et d’exagéré, on apprend à se défier des lumières que l’examen de ces tragédies semble offrir pour déterminer l’auteur soit de toutes, soit de quelques-unes. Ce seul exemple donne une assez juste idée de la manière dont les commentateurs ont procédé dans leurs recherches : toutes leurs hypothèses se sont détruites les unes par les autres ; le dernier venu a prouvé l’erreur de ses devanciers, jusqu’à ce qu’un autre vînt lui prouver la sienne, et ainsi de suite. L’un a cru trouver dans les principes des stoïciens, qui se rencontrent à tous momens dans ces tragédies, une raison péremptoire pour les attribuer à Sénèque le Philosophe ; mais un autre est venu qui a démontré, par beaucoup de passages, qu’elles étaient évidemment l’œuvre de quelque partisan des doctrines d’Épicure. L’hypothèse du premier se trouvait ainsi renversée, quand un troisième les a mis d’accord en produisant une foule de témoignages tirés des Lettres à Lucilius, et des traités philosophiques de Sénèque, par lesquels il est facile de voir que le philosophe, éclectique par excellence, allait et revenait d’Épicure à Zénon, et qu’à ce double titre il pouvait être ou n’être pas l’auteur des tragédies dont on cherchait le père.

Ainsi tous les fils qui devaient conduire les critiques jusqu’à la vérité se sont trouvés courts, ou se sont brisés dans leurs mains ; tant d’efforts ne les ont menés qu’au doute, qui sera pour nous la science de Socrate, et dans lequel nous nous reposerons très-volontiers en