Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/6

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conquérant des Romains sous le génie plastique des Grecs, a soumis notre foi, notre science, notre morale chrétiennes à l’adoration de ce qu’elles devaient détruire, au culte de ce qu’elles avaient remplacé. Il nous a fallu percer la couche épaisse de civilisation que dix-sept siècles avaient formée sur les débris de l’ancien monde, pour en exhumer des richesses qui ne l’ont pas empêché de périr ; et comme ces Romains qui allaient demander l’initiation des arts, de la philosophie et des lettres à une ville que Sylla avait presque noyée dans le sang de ses habitans, nous nous sommes mis à l’école de ces Grecs et de ces Romains que la science juive et le glaive des Barbares avaient dépossédés en même temps du double empire qu’ils exerçaient sur les idées et sur les choses.

Et si cette manie de refaire ce qui a été fait nous semble surtout préjudiciable en ce que, ramenant sans cesse l’esprit humain sur un thème usé, elle remplace nécessairement les créations nouvelles qui pourraient surgir par des contrefaçons ou des copies des anciens modèles, le mal est encore bien plus grand chez nous que chez les Romains. Nous ne croyons pas sans doute, pour ne parler que du théâtre, que les tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, les comédies d’Aristophane et de Ménandre, n’aient été traduites ou imitées qu’une seule fois dans la langue romaine ; mais il est sûr au moins que jamais elles ne l’ont été aussi souvent que chez nous : Rome alors était le monde ; ce n’était qu’à Rome, et dans la langue de Rome, que l’on traduisait le théâtre des Grecs : aujourd’hui que les royau-