Page:Sénancour - Rêverie sur la nature primitive de l’homme, tome 1.djvu/31

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
comme à embellir l’expression de ses différens sites,

45

creusant d’idée les terrains les plus bas en vallées profondes,
changeant en pâturages quelques herbes desséchées,
et transformant en chaînes d’âpres rochers et de

[22]

sommets élevés [S 1], les diverses sinuosités de ses buttes
sableuses, et les débris de ses grès dispersés. La plus élevée

50

de ces buttes domine assez au loin les forêts voisines :
quelques bouleaux isolés ont pris racine sur son sommet
battu des vents, et j’allai jouir des derniers feux du jour
sur les grès écroulés le long de la pente qu’elle incline au
soleil couchant.

55

Dans cet espace inculte et désert, la végétation étoit
foible et rare. Deux ou trois bouleaux sans feuilles et de la
bruyère desséchée, laissoient à ce lieu sauvage l’expression
d’une solitude profonde. J’avois long-tems confondu avec

[23]

les couches de sable et les parcelles blan|ches des grès

60

épars, deux troupeaux de brebis fort distans l’un de

[JM 1]

  1. Dans les plaines où les collines ne sont que des taupinières,
    et où la petitesse des objets donne à toute une contrée la monotonie
    d’une surface nivelée et comme dépouillée, l’homme voit
    une grandeur, une élévation qui n’existent pas. On croit ce roc à
    5
    une lieue, il n’est qu’à mille pas ; l’on pense qu’il faudra un quart
    d’heure pour monter une butte qui n’a que cent pieds. Cette illusion
    trompe sans cesse le montagnard habitué à estimer différemment
    les grandeurs et les distances. Un hollandois transporté dans
    les Alpes, croira traverser, en une demi-heure, un lac de trois
    10
    lieues, et parvenir en deux heures de marche, au pied d’un mont
    qui s’élève à douze lieues à l’horizon. Ainsi, les deux extrêmes se
    rapprochent à la portée de notre vue. Il sembleroit que la nature
    ait également craint de nous blesser par la petitesse de ses
    formes, et de nous désespérer par leur immensité. Le très-grand
    15
    et le très-petit sont inaccessibles à l’œil de l’homme ; et dans la
    sphère étroite qu’il peut embrasser, les points extrêmes sont
    encore rapprochés.
  1. A. – Note 2, l. 4-5. On croit cet arbre à cent toises, et il